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Quels sont vos critères pour identifier si un projet est “scalable” (ou s’il doit rester local/niche) ?
’’Thomas Egli :’’ Nous distinguons quatre grandes voies de scalabilité directe : la croissance interne, qui repose sur l’expansion progressive du projet dans son périmètre actuel ; la réplicabilité, où le modèle peut être reproduit dans d’autres contextes ou territoires ; la duplicabilité, qui permet à d’autres acteurs d’adopter la méthodologie ou le modèle ; et enfin les franchises, qui garantissent une montée en échelle structurée et contrôlée. Nos critères incluent l’adaptabilité culturelle, la résilience face aux chocs, la solidité du modèle économique, mais aussi l’alignement avec les causes sources et pas uniquement les symptômes. Nous nous inspirons aussi des méthodes innovantes de gestion de projet issues de l’industrie et des start-ups — comme l’approche Lean ScaleUp ou le framework SAFe (Scaled Agile Framework) — pour évaluer si le projet peut supporter un passage à l’échelle sans perdre son essence. Mais nous trouvons aussi l’augmentation de l’activité par les effets de répercussion : lorsqu’un projet déclenche des dynamiques indirectes qui génèrent de nouvelles activités, de nouveaux marchés ou de nouvelles coopérations sans que l’organisation initiale ait besoin de les piloter directement. C’est par exemple le cas lorsqu’une innovation inspire d’autres acteurs à reproduire ou à adapter spontanément le modèle, ou lorsque les résultats obtenus créent un écosystème autour du projet, produisant une croissance organique et exponentielle.
Comment aidez-vous un projet à tester différents business models avant de choisir le plus viable ?
’’Thomas Egli :’’ Nous fonctionnons par itérations successives. Une idée est d’abord travaillée en esquisse, puis développée en plusieurs avant-projets sommaires concurrents. Ces versions sont comparées et challengées dans des formats riches : débats contradictoires, world cafés, design thinking, crowd innovation. Les meilleures pratiques de chaque prototype sont intégrées dans un avant-projet définitif, qui réunit le “best success” de toutes les options testées. Cette approche est volontairement interactive et contradictoire : elle permet aux équipes de mesurer concrètement la viabilité de chaque modèle, mais aussi de bâtir une proposition finale qui ne repose pas sur une intuition unique mais sur un processus collectif, robuste et testé.
Quelles ressources mettez-vous à disposition pour le passage à l’échelle ?
’’Thomas Egli :’’ Nous mettons à disposition un écosystème très dense : fondations, incubateurs, fédérations mondiales, réseaux de sciences citoyennes, fab labs, investisseurs, agences de communication, cabinets de développement d’affaires. Chacune des 7 conférences annuelles internationales qui composent le Forum est pensée comme un laboratoire de solutions, avec un énoncé orienté action qui oblige à se concentrer sur la concrétisation. Concrètement, cela prend aussi la forme de repas de networking à haut niveau, de mandats de coaching et mentoring confiés à des experts, de programmes de seed philanthropy qui préparent les projets à recevoir des financements hybrides, et d’outils de blended finance pour sécuriser leur montée en puissance. Tout est fait pour que les projets passent rapidement de l’idée à l’action, puis du local au global.
Comment accompagnez-vous la recherche de partenariats stratégiques ?
’’Thomas Egli :’’ Le Forum s’appuie sur une communauté impressionnante : plus de 8’000 anciens participants à ce jour, dont beaucoup occupent aujourd’hui des postes encore plus stratégiques qu’au moment de leur première participation, ainsi que 2’500 experts techniques et méthodologiques de haut niveau, mobilisés grâce à Objectif Sciences International, la Geneva Foundation for the Future et le Geneva Forum. Nous sollicitons à la fois les réseaux des Nations Unies, les organisations internationales, les fédérations sectorielles mondiales et les entreprises globales. Un dirigeant qui vient au Forum sait qu’il sera mis en relation avec des partenaires de son niveau, capables de débloquer des leviers concrets pour son projet.
Quels mécanismes assurez-vous pour favoriser la pérennité économique des projets ?
’’Thomas Egli :’’ Notre spécialité, c’est de transformer une idée en modèle viable et profitable. Nous savons que les subventions ponctuelles ne suffisent jamais. C’est pourquoi nous travaillons toujours sur des modèles intégrant plusieurs sources de revenus : partenariats publics-privés, franchisation, redevances, produits dérivés, ou encore accès aux marchés financiers à impact. Un projet doit générer ses propres ressources, non pas en périphérie de sa mission, mais au cœur même de son activité. C’est cela qui garantit qu’il pourra durer, croître et continuer à transformer les réalités locales et internationales.
Comment intégrez-vous la question du profit sans dénaturer la mission ?
’’Thomas Egli :’’ Nous insistons sur le fait que plus un projet s’attaque aux causes sources, plus il reste fidèle à sa mission. Le travail sur le cœur de métier, mené avec les équipes elles-mêmes, garantit que chaque décision économique est alignée sur la mission. Le profit n’est pas une fin, mais un outil puissant pour démultiplier l’impact. Si l’on veut que le monde change, il faut que les projets à impact soient capables de générer un retour sur investissement fort, car c’est cela qui attire les financements massifs. Les projets qui réussissent à associer vision, mission et profit deviennent les catalyseurs d’une véritable transformation.
Quels outils de blended finance proposez-vous concrètement ?
’’Thomas Egli :’’ Nous travaillons avec une palette complète : subventions traditionnelles, dons stratégiques, prêts concessionnels, prêts collaboratifs, prises de participation, garanties, obligations à impact, partenariats public-privé, seed philanthropy, capital patient, financements basés sur la performance, mécanismes de partage de risque, fonds hybrides, venture philanthropy, family offices spécialisés. Chacune de ces différentes modalités peut être utilisée seule ou combinée dans des architectures innovantes. Le Forum est l’endroit où ces options sont expérimentées et adaptées aux besoins concrets des projets, avec le concours d’investisseurs et de philanthropes présents sur place car ils sont directement intéressés afin de pouvoir atteindre leurs propres objectifs.
Quelles sont les principales erreurs à éviter dans la phase de scaling ?
’’Thomas Egli :’’ La plus fréquente est de vouloir croître trop vite sans consolider ses bases. Mais il y en a d’autres : négliger la qualité, perdre l’authenticité, sous-estimer le temps nécessaires au déploiement d’un culture interne au projet, manquer d’alignement stratégique, s’éparpiller sur trop de marchés, mal gérer la gouvernance, ignorer la nécessité de l’adaptation locale, ou encore négliger les feedbacks du terrain. Nous en identifions souvent plus d’une dizaine, et le Forum de Genève est précisément l’espace où ces erreurs sont analysées collectivement, pour que chacun apprenne des échecs des autres et évite de reproduire les mêmes pièges.
Comment le Forum aide-t-il à articuler impact local et dimension internationale ?
’’Thomas Egli :’’ Nous montrons, par l’exemple, comment une innovation locale peut se projeter globalement. On peut se donner tout un tas d’illustrations concrètes :
- un projet d’agroforesterie au Bénin ou au Togo qui devient un modèle de reforestation pour l’Afrique de l’Ouest ;
- une initiative citoyenne sur le suivi de la biodiversité en Méditerranée qui inspire des programmes mondiaux de sciences participatives ;
- une innovation technologique suisse sur l’eau qui s’applique en Amérique latine ;
- un projet de micro-assurance santé en Inde qui alimente les discussions sur la -couverture santé universelle ;
- des programmes d’éducation basés sur la pédagogie de projet qui trouvent écho dans les réformes éducatives européennes ;
- une méthodologie de résilience climatique développée au Bangladesh intégrée aux stratégies de l’ONU ;
- un mécanisme de blended finance testé en Afrique répliqué par des family offices européens ;
- des modèles de gouvernance locale mis en place en Colombie repris par des agences internationales ;
- une initiative sur l’IA responsable qui nourrit des standards globaux ;
- des projets de médiation de conflits citoyens qui viennent enrichir la diplomatie classique ;
- et des expériences d’économie circulaire à petite échelle qui deviennent des standards pour l’industrie.
C’est cette passerelle locale-internationale qui fait la force unique du Forum.
Quelles métriques de succès recommandez-vous ?
’’Thomas Egli :’’ Nous utilisons entre autre comme référence les 5 familles de critères de l’outil AGILE : alignement stratégique, gouvernance, intention, leadership, efficacité. À cela s’ajoutent des indicateurs spécifiques définis avec les équipes elles-mêmes, directement liés aux publics et aux impacts ciblés : nombre de bénéficiaires, revenus générés, emplois créés, réduction d’émissions, transformation systémique… Ces KPI sont co-construits pendant le Forum de Genève afin que chaque projet reparte avec une grille claire, adaptée à ses objectifs et reconnue par ses partenaires financiers.
À travers son approche méthodique et ses réseaux internationaux, le Forum de Genève démontre que la scalabilité des projets à impact n’est pas une utopie mais une réalité, à condition de s’appuyer sur des modèles économiques solides, des partenariats stratégiques et des outils financiers innovants. Pour les décideurs de haut niveau, c’est l’endroit où l’on peut, tous les ans, transformer une réussite locale en référence mondiale, capable d’attirer des financements massifs et de générer de la prospérité durable tout en résolvant les grands enjeux de notre époque.
